Mon île chérie, mes racines, mes couleurs, mes ancêtres et mon avenir

22 septembre 2006

Boom in London

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Yacinthe et Xavier avaient décidé de passer leur lune de miel en Europe.
On se souvient de l’orage mémorable qui égailla les invités le jour de leur mariage en Guadeloupe à la sortie de l’église de Goyave.
Le jeune couple était peu enclin à la morosité et plutôt réjoui de confirmer l’adage sur le bonheur attaché aux mariages pluvieux. Ils avaient donc traversé l’Atlantique pour affronter le climat humide de Londres pendant 2 semaines et se trouvaient alors sur la piste de danse d’une discothèque branchée de Picadilly.
La sono - assourdissante, comme il se doit - emplissait la cave londonienne aux murs violets qui servait de défouloir aux hurluberlus de tout poils s’y trémoussant à qui mieux mieux.
Yacinthe distinguait dans les flashes du stroboscope l’éclat des clous argentés qui parsemaient les vestes noires des jeunes aux allures de cockneys.
Xavier tentait de suivre le rythme endiablé d’une techno d’enfer, regrettant déjà les ondulations lascives des zouks collés-serrés qu’il dansait avec sa fiancée à Basseterre.
Le DJ enchaînait sans réel enthousiasme.
Pour tout dire, Xavier s’inquiétait plutôt des regards appuyés qu’un jeune passablement allumé jetait à Yacinthe depuis quelques minutes. Le garçon titubait plus qu’il ne dansait mais se rapprochait insensiblement de la jeune femme qui n’avait rien remarqué, semblait-il... Xavier amorça un mouvement pour former écran entre Yacinthe et l’autre lorsque l’éclairage et la sono s’arrêtèrent sans préavis.
Le silence fut si brutal qu’il parut assourdissant.
Xavier murmura, comme pour lui-même : « P... ! Noir c’est noir ! ».
Moins d’une seconde plus tard, ce fut la panique. Des hurlements de femmes, des bruits de meubles renversés, de bouteilles brisées jaillirent de tous côtés.
Yacinthe et Xavier hurlèrent aussi leurs prénoms respectifs. Le garçon tendit le bras dans la direction de la jeune femme, saisit une chevelure, prit un coup à l’estomac, lâcha prise, glissa, se retrouva au sol, à moitié piétiné par des gens affolés.
Quelques éclats de briquets lui permirent enfin de distinguer des ombres et il vit Yacinthe, les yeux écarquillés, à moins d’un mètre de lui, au sol également. Il rampa vers elle et agrippa sa jupe en se jurant de ne pas la lâcher.
Le désordre et la panique étaient indescriptibles dans le grand local. Aucune affichette lumineuse du genre « Exit » ne signalait la sortie de secours que Xavier avait pourtant repérée derrière le bar, à son arrivée sur les lieux. Le DJ avait déserté sa cabine, sans doute, micro devenu muet.
Xavier serrait maintenant Yacinthe de toutes ses forces et tentait de ramper pour s’approcher d’une cloison afin de ne plus se faire marcher sur le corps. Tout à coup il eut l’illumination ! Fouillant ses poches, sa main trouva le fétiche qui ne le quittait jamais depuis que son tuteur le lui avait offert 10 ans auparavant : un megasoma acteon, reproduction fidèle des énormes scarabées volants noirs qui hantent les forêts tropicales la nuit avec un bruit de bombardier. Celui-ci était un gadget qui lui avait déjà servi plus d’une fois dans des circonstances délicates. Cette fois encore il allait lui sauver la mise...
Un déclic et la bestiole métallique émit un puissant faisceau lumineux. La pile était encore bonne ! Les deux jeunes gens se redressèrent et, mètre après mètre, gagnèrent l’issue derrière le bar. Xavier actionna la barre de sécurité et le double-battant s’ouvrit aussitôt, libérant le couple.
La discothèque vomit alors dans la ruelle aux pavés luisants une foule hagarde et hurlante qui s’égailla sans demander son reste.
Yacinthe se jeta dans les bras de Xavier qui la couvrit de baisers et l’entraîna vers les lumières du boulevard qu’on apercevait là bas, tout au bout. Les lumières de la ville.
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